L’hypothèse principale défendue avec vigueur dans cet ouvrage suscite moult débats et polémiques. D. Milo accuse Darwin d’avoir largement surestimé le rôle joué par la sélection naturelle dans l’évolution des espèces. Selon l’auteur, c’est le hasard qui joue les premiers rôles au sein de l’évolution, expliquant ainsi la tolérance de la « nature » envers le médiocre et l’inutile. L’exemple de la domestication des animaux aurait en effet induit Darwin en erreur, le conduisant à privilégier le sélectif sur l’aléatoire.
D. Milo a le mérite de souligner une erreur que les géographes constatent régulièrement : oublier la nécessité de varier les échelles. En l’occurrence, Darwin a utilisé comme modèle la faune des rivages des îles Galapalos pour analyser le processus de la sélection naturelle : les iguanes, tortues et autres pinsons de cet archipel sont ainsi entrés dans la postérité. Or, ce qui est vrai à l’échelle d’une petite portion d’une île ne l’est pas forcément à l’échelle d’un écosystème plus vaste tel qu’une jungle tropicale ou un océan. Ceci d’autant plus quand il s’agit d’un territoire très spécifique (insularité etc.) où la concurrence entre individus pour les ressources vitales est particulièrement intense. Un autre biologiste, Alexander Von Humboldt, aura recours à la cartographie pour éviter de tomber dans ce type de piège.
L’auteur tacle au passage tous ceux qui font de la sélection la valeur phare de notre société (« une fin et non plus un moyen ») : la glorification de l’adaptation dans les entreprises, le culte de la notation à l’école, le « publish or die » chez les scientifiques, les classements dans les compétitions sportives etc. Il regrette les conséquences néfastes de cette course à la performance, qui conduit les humains à accumuler toujours plus au détriment des autres humains et de la planète.
Contrairement à ce que j’ai pu lire à droite ou à gauche, D. Milo critique uniquement la sélection naturelle et en aucun cas la théorie de l’évolution dans son ensemble. Pourtant, sa charge contre la biologie en tant que discipline scientifique semble relativement injuste. Depuis longtemps, de nombreux biologistes ont soulignés la place occupée dans l’évolution par des facteurs comme l’ « entraide » et la recherche de « compromis évolutifs ». Plusieurs chercheurs et chercheuses ont publié une tribune pour défendre leur discipline suite au retentissement médiatique rencontré par le livre, accusant l’auteur de caricaturer les connaissances apportées par la biologie. Mais si un philosophe de la trempe de D. Milo a jugé utile d’écrire cet ouvrage, c’est sans doute justement car ces connaissances sont trop peu diffusées et (re)connues en dehors des cercles académiques.